Panorama 14 / Elasticités
Elsa se marie
Film, 2012
Artiste-professeur invité
2011 - 2012
Né en 1947 à Paris (France)
L'œuvre de Benoît Jacquot est multiple, protéiforme. Elle ne cesse de bouger, de se redéfinir, d'épouser les contours d'un désir de cinéma né il y a longtemps, et qui demeure intact. Inassouvi. Ce désir chez Jacquot s'adapte aux nouvelles donnes cinématographiques. Il les englobe et les dépasse, en les soumettant à la question primordiale pour lui : celle du style. Qu'il s'agisse des techniques (voir l'usage qu'il fait de la vidéo numérique dans A tout de suite, 2004), des formats narratifs (fictions, documentaires, pièces de théâtre filmées, film d'opéra, fictions télévisuelles), de l'économie de production et de tournage (ses budgets varient très fortement en fonction du sujet et du casting), ou des caprices du star-system, le cinéma de Benoît Jacquot évolue constamment, comme si ce cinéaste avait plusieurs vitesses à son arc. C'est ainsi qu'il est devenu l'un des cinéastes les plus prolixes du cinéma français. Cette capacité à s'adapter, à adapter son désir de cinéma à des formes les plus ouvertes, est essentielle pour comprendre sa trajectoire. Et pourtant, Jacquot demeure malgré tout, sinon un marginal, du moins un franc-tireur, un auteur qui ne se confond pas avec le système qui le permet ou l'autorise. Chez lui, aucune formule qui se reproduirait à l'identique, mais une aptitude à se mouler dans un système à géométrie variable, où il ne laisse pas trop de plumes, affirmant bien au contraire une forme de souveraineté. Cette boulimie, cette capacité de métamorphoser son désir de cinéma, est évidemment son point fort. Quoi qu'il arrive, il y aura assez de films, de documents filmés, qu'elle qu'en soit la nature, pour constituer une œuvre.
À l'intérieur de ce corpus conséquent (une cinquantaine de films), les adaptations littéraires côtoient les scénarios originaux ; les films contemporains se mélangent avec les films en costumes ; les essais documentaires (sur des artistes tels que Merce Cunningham, Robert Motherwell, ou des écrivains : Marguerite Duras, Louis-René des Forêts, Salinger) s'égrènent parmi les films de fiction. Cette stratégie relève-t-elle d'un calcul ou d'une décision préméditée ? Il s'agit plutôt d'un parti pris, affirmant le primat de l'expérience. Tout film, tel qu'il se présente, emporte avec lui sa part d'inconnu, de mystère ou d'aléa et constitue, sous la forme où il advient, un moment de cinéma. Le maître mot, pour parler du cinéma de Benoît Jacquot, est celui de mise en scène. L'exercice de la mise en scène consiste à installer acteurs ou personnages dans un espace-temps et de trouver la bonne vitesse. Donner à voir le réel dans la forme où il se présente, dans sa dimension d'enregistrement cinématographique. Cela reste encore la meilleure définition du cinématographe.
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Serge Toubiana
Panorama 14 / Elasticités
Film, 2012