Artiste-professeur invité
2009 - 2010
Joana Hadjithomas et Khalil Joreige
Né en 1969 à Beyrouth (Liban)
Il est étrange et paradoxal de se présenter en quelques lignes dans ce contexte alors que nous n'avons pas étudié l'art ou le cinéma. Nous sommes arrivés à ces pratiques de façon autodidactes par nécessité au lendemain des guerres civiles libanaises et dans un après-guerre chaotique avec des conflits régionaux toujours non résolus. Cela a été plutôt le résultat de situations et de rencontres qui nous ont poussé à réagir, à produire, à chercher des images qui nous concernent, des positions qui nous interpellent, nous émeuvent et qui émanent de notre histoire contemporaine, de notre présent.
Nous nous sommes d'abord intéressés à représenter ce qui existe sans être forcément visible. Nous cherchons à donner à voir, à voir nous-même à rendre compte de la complexité et des nuances de situations qui ont tendance à être schématisées et simplifiées.
Il ne s'agit pas simplement de parler du Liban mais plutôt d'interroger la division du monde d'aujourd'hui.
Quelles histoires écrire quand le fil de l'Histoire est rompu ? Comment redonner puissance à la représentation face au flux incessant d'images ?
Pour cela, nos travaux artistiques et nos films élaborent différentes stratégies comme une raréfaction, une soustraction de l'image, une réflexion autour de la latence, de l'état de ce qui existe de manière non apparente mais qui peut à tout moment se manifester, de l'évocation, comme aussi la fabrication de nouvelles icônes, une recherche autour de la narration, du document, de la participation du spectateur...
Cette façon de déplacer le regard, de le questionner, de le détourner est fondamentale pour nous et tente de faire politiquement de l'art et du cinéma.
Nos vidéos, nos installations photographiques et nos films produits à partir de documents personnels ou politiques, d'archives familiales construisent des récits, rendent compte d'histoires tenues secrètes qui sont une forme de résistance face à l'histoire officielle, l'histoire écrite « par les vainqueurs ». Le fait d'être en même temps cinéastes et plasticiens nous permet aussi d'explorer des idées et des formes différentes, et de les développer dans des films, commeA Perfect Day ou Je veux voir et dans des installations que nous faisons au même moment, portés par la même obsession et la même nécessité personnelle et formelle.
L'espace artistique fait figure pour nous d'espace de contradiction mais aussi de lieu de partage, de rassemblement. Dans ce que nous faisons, nous essayons de garder un grand espace pour l'autre pour penser ensemble, pour que se construise aussi une émotion nouvelle, un partage de sensations. Nous cherchons, espérons cette participation et cette rencontre. Le principal, c'est que les choses ne soient pas figées mais soient continuellement dans l'état de la recherche, de la mise à l'épreuve, en quête d'un questionnement commun, d'« instants de vérité » dans un territoire artistique qui n'opère pas forcément avec les mêmes frontières que la géographie ou la topographie, mais comme « un continent en plus » comme le disait Godard parlant du cinéma. C'est là où nous habitons.