Artiste-professeur invité

2020 - 2021

Emanuele Coccia

Je suis né en Italie au bord de la mer Adriatique. J’ai eu un parcours scolaire assez décousu, plein de détours dans des disciplines différentes : catapulté dans un lycée agricole en pleine campagne où je suis tombé amoureux de la chimie et de la botanique, j’ai ensuite brassé la sémiotique, la théologie juive et chrétienne, le droit, la théorie des arts, la publicité, l’écologie, et surtout la philosophie.

Un fil rouge reliait ces formes de connaissances apparemment si distantes : la nécessité de comprendre un monde qui, à cause des changements techniques et physiques subis ces 40 dernières années, échappait entièrement aux catégories et aux concepts dont nous avons hérité. J’ai toujours considéré que faire de la recherche et étudier signifie reconnaître que nous sommes des pionniers et comme des aliens sur une planète qu’aucun œil a pu véritablement contempler, tels Eve et Adam dans leurs premiers jours d’existence.

Étudier signifie toujours se brûler les mains devant un feu dont on ne comprend pas la nature, s’éplucher les genoux, se brûler puis s’émerveiller de la beauté de ce que l’on voit. La philosophie de ce point de vue n’est que l’affirmation que dans tout acte de connaissance, le désir et la passion de la découverte l’emportent sur la discipline : il n’y a pas un objet intrinsèquement philosophique, tout objet de connaissance peut devenir philosophique à partir du moment où le sujet connaissant est guidé par un amour et une passion déchainées. Et précisé-ment parce que celui qui nous initie à la connaissance du monde n’est pas un maître, un sage, un expert, mais un désir, cette connaissance ne peut jamais prendre une seule forme ni un seul support. Il n’y a pas de différence entre la connaissance et les arts : ce sont des formes de connaissance qui utilisent différents substrats - le mot, les couleurs, les corps, la lumière. Mais à chaque fois, il s’agit de connaître et de manipuler le monde pour rendre l’existence plus intense.

Le projet que j’entends réaliser au Fresnoy est une vidéo qui permet d’articuler une description du monde à partir du « point de vie » d’un virus. D’un côté, les recherches en histoire des sciences ont montré à quel point la science moderne a dû construire des fictions pour pouvoir observer ces portions du monde (l’immensément grand de l’astronomie ou l’infini-ment petit de la microbiologie) qui ne peuvent pas être immédiatement réduites à l’expérience commune. De l’autre, observé de la perspective du virus, le monde se donne à connaître en dessinant des formes et des lignes de force très différentes de celles qui nous sont familières.

Un virus est un être de frontière. Il n’est pas clair s’il s’agit d’un objet simple ayant atteint un degré de complexité chimique qui le rend capable d’imiter les gestes métaboliques de tous les êtres vivants et donc de le rendre indiscernable de tout autre sujet, ou si, au contraire, c’est un sujet qui a simplifié sa vie au point de devenir une chose simple. C’est pourquoi, dans son corps, la frontière qui apparaît si évidente ailleurs entre l’animé et l’inanimé devient insignifiante. D’autre part le virus, pourrait-on dire en simplifiant, est comme le mécanisme chimique, matériel et dynamique de développement et de reproduction de tous les êtres vivants, mais existant en dehors de la structure cellulaire, sous une forme plus anarchique et plus libre : il est la vie mais observé dans le processus de redessiner constamment sa propre forme. Je vais réaliser cette vidéo avec Frédérique Aït Touati et Patrick Laffont de Lojo.

Emanuele Coccia


ŒUVRES PRODUITES AU FRESNOY