Artiste-professeur invité

2020

Matías Piñeiro

Né en 1982 à Buenos Aires (Argentine)

« Le monde entier est un théâtre, où tous — les hommes, les femmes — sont de simples acteurs. Ils y ont leurs entrées, leurs sorties... » Cette fameuse maxime nous a été transmise par Shakespeare dans sa pièce Comme il vous plaira. En ces temps de plus en plus troublés, elle n’a jamais été autant d’actualité. Avec un rythme frénétique et une grande finesse, les films de Matías Piñeiro virevoltent autour de l’intuition du célèbre dramaturge anglais. Une dizaine d’années ont suffi au jeune cinéaste argentin pour qu’il se distingue comme une des voix les plus remarquables du cinéma contemporain.

Ses six films novateurs s’inspirent librement du théâtre et de la littérature pour explorer la puissance du désir et du langage. Surgissant de la toujours dynamique Nouvelle Vague argentine, les productions de Matías Piñeiro, ludiques et mystérieuses, héritent largement des maîtres de la Nouvelle Vague française – Éric Rohmer et ses contes tout en philosophie et en séduction, Jacques Rivette et ses puzzles enivrants. L’influence de plusieurs réalisateurs argentins expatriés à Paris, comme Eduardo de Gregorio et Hugo Santiago, se fait aussi sentir.

Les films de Matías Piñeiro sont tous tirés de grands classiques de la littérature. Et pourtant, loin de faire de simples adaptations, le cinéaste s’engage en réalité dans un processus de traduction devenu sa marque de fabrique. Il parle de « variations », d’« extensions », de « profanations », de « contaminations » ou encore de « désacralisations » des textes originaux. Légères et lumineuses, ses créations sont de vibrantes mises à jour contemporaines de ses sources. Qu’il compose à partir des textes de Domingo Faustino Sarmiento (humaniste du XIXe siècle et président de l’Argentine) ou à partir des pièces de William Shakespeare (avec sa série qu’il a intitulée « Las Shakespeariadas »), Matías Piñeiro a développé un style où les langages du théâtre, de la littérature et du cinéma fusionnent. Il nous livre une orchestration où l’art, la musique, l’amour et le jeu des acteurs se fondent avec harmonie dans un univers sinueux.

Le réalisateur travaille souvent avec la même équipe, la plupart du temps composée d’actrices (María Villar, Agustina Muñoz, Romina Paula) et du directeur de la photographie Fernando Lockett, dont le maniement fluide et virtuose de la caméra nourrit le caractère volubile de ses films, avec ses enchaînements et ses ricochets. Avec eux, Matías Piñeiro a créé une atmosphère d’échanges fructueux autour de ses productions indépendantes. Dans sa série « Las Shakespeariadas », les films Rosalinda, Viola, La Princesa de Francia et Hermia & Helena réinterprètent respectivement Comme il vous plaira, La Nuit des rois, Peines d’amour perdues et Le Songe d’une nuit d’été. Rêve et réalité s’y brouillent avec charme. Monologues séducteurs et dissertations étourdissantes sur l’amour s’installent dans des récits circulaires et imbriqués, marqués par le rythme des textes shakespeariens. De purs moments de cinéma surgissent avec une parole aussi pertinente que percutante, tandis que les rôles s’effondrent, s’assemblent ou s’échangent, non sans rappeler une certaine élégance naturelle vue chez Ernst Lubitsch ou Max Ophüls, ou encore les constructions cubistes et introspectives de Hong Sang-soo.

Pour l’amour du jeu retrace l’évolution de la carrière déjà prolifique de Matías Piñeiro, donnant à voir un corpus de films sensuels et originaux, entre création artistique et expérimentation formelle. Une œuvre qui ne demande qu’à être découverte en France.

Texte d’Andréa Picard paru à l’occasion de la programmation Matías Piñeiro. Pour l’amour du jeu, Jeu de Paume, Paris, 2017.


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