Panorama 25
Le monde moins une
Film, 1h30min, 2023
Artiste-professeure invitée
2022 - 2023
Née en 2024 à Rio de Janeiro (Brésil)
Née au Brésil, Vivianne Perelmuter immigre en Europe à huit ans. Après des études en philoso-phie à l'U.L.B, elle entre à la Fémis. Ses films les plus récents Ailleurs, partout et Le Vertige des possibles sont sortis en salle et ont reçu un très bel accueil public et critique. Comme ses moyens et courts-métrages, ils ont été largement diffusés dans les festivals internationaux et couronnés de prix à diverses occasions. Son travail explore le champ documentaire comme celui de la fiction. Photographie et installations en tracent également les contours. C(H)AMP a été montré au château de Lunéville et à Los Angeles, à LMU. Souffle I et Souffle II ont été présentés au Musée de la Chasse et de la Nature. Elle enseigne à l'université de Corte et fait partie de l'équipe artistique du SIC à Bruxelles.
Il y a dans le cinéma de Vivianne Perelmuter un éloge du divers, presque une méthode, une éthique. Il se traduit d'abord par la pluralité des formes comme des motifs explorés (de l'animal à l'état des villes, de la condition des femmes à l'expérience de la migration et de l'exil, pour n'en citer que certains). Il se manifeste également dans l'hétérogénéité des matériaux mêmes des films : images tournées par la cinéaste mais aussi archives, tableaux, images d'actualité, de surveillance, citations littéraires ou philosophiques. Il se poursuit encore à travers les différents registres mis en jeu : essai, récit, poème en prose ou mélopée. Relier, mettre en circuit, pour que soit rendue la richesse infinie du réel, la complexité des êtres et des situations. La pensée critique (sur le cinéma ou l'état du monde), qui nourrit ici la démarche, pour prégnante qu'elle soit, ne vient jamais au-devant, mais s'ancre toujours dans une attention au sensible. La conviction de la cinéaste est qu'il n'y a pas à choisir entre donner à penser et transmettre une émotion.
À travers sa filmographie, sans oublier ses installations, un même enjeu se dessine : impliquer les spectateurs et spectatrices, les impliquer dans un mouvement, un processus.
Mais pour que cela survienne, pour que quelque chose leur arrive, il faut en passer par le fait de frustrer leurs attentes de tout voir, troubler leurs habitudes, bousculer leurs repères. Il s'agit de défamilariser le regard dit la cinéaste afin de faire se lever une autre sorte de spectateur-trice, une autre manière de voir qui soit à nouveau un acte où l'on sente que voir n'est pas donné. Oui, une manière de forcer le regard à s'entêter, regarder les choses, les espaces ordinaires assez longtemps et sous un angle inattendu quoique simple afin que s'en dégage un sentiment d'estrangement, comme on disait au XVIIe siècle pour donner un nom au désir de se déporter de soi et voir autrement ce que à force d'avoir sous les yeux, nous ne regardons plus vraiment.
Le hors-champ est l'un des mots-clés de cette opération. La place centrale qui lui est accordée varie de film en film et à l'intérieur même d'un film. Il peut se jouer dans le cadrage qui extrait un élément, un détail de l'ensemble, et, en désorientant, aiguise l'attention ou, s'attachant à l'infime, la sollicite autrement. Plus radicalement, il se joue dans la disjonction entre son et image. Une conscience aiguë de l'irreprésentable, des limites et des pièges du visible, conduit la cinéaste à travailler un hors-champ radical. Hisser le visible à une présence implique parfois de le sortir du champ puisqu'il s'agit, en fait, de faire vibrer ce qui n'est pas de l'ordre du visible et pourtant l'habite. C'est le son, la voix qui alors guide, incarne une présence. Mais dire n'est pas plus simple que faire voir. Il faut que cela arrive par bribes, avec des trous, selon une narration non linéaire, sinueuse, qui bifurque, se contredit.
Cette marge, comme l'espace du hors-champ, sollicitent une part plus active des spectateurs-trices, leur conférant une plus grande liberté.
L'éthique singulière de ce cinéma tient à un paradoxe : une extrême précision et assez de flou, d'indéfini, pour la border.
Panorama 25
Film, 1h30min, 2023