Artiste-professeur invité

2016 - 2017

Bruno Nuytten

Né en 1945 à Melun (France)

BTS image (France)
​Section image à l'INSAS de Bruxelles

Les films du plaisir, de la découverte et du non savoir-faire
Les valseuses (Bertrand Blier)
India song et Son nom de Venise... (Marguerite Duras)
Barroco et les sœurs Bronté (André Téchiné)
L'assassin musicien (Benoît Jacquot)
Le nuit tous les chats sont gris (Gérard Zingg)
Zoo zéro (Alain Fleisher)
L'invitation au voyage (Peter Del Monte)
La pirate (Jacques Doillon)
Tchao pantin (Claude Berri)

Après quelques expériences avec des cinéastes underground, chef opérateur sur de nombreux moyens et courts-métrages.

Entre 1969 et 1985 directeur de la photographie sur une trentaine de longs-métrages avec Bertrand Blier, Marguerite Duras, Benoît Jacquot, André Téchiné, Claude Miller, Alain Fleischer, Gérard Zingg, Jacques Doillon, Andrzej Zulawski, Alain Corneau, Jean-Luc Godard, Alain Resnais, Claude Berri etc...

De 1987 à 1998 réalise 3 longs-métrages pour le cinéma (Camille Claudel, Albert souffre, Passionnément) et en 2001 un long-métrage pour Arte (Jim, la nuit)

Successivement intervenant image à l'lNSAS, directeur de département image à la FEMIS et intervenant travail commun CNSAD-FEMIS

Mon désir de filmer vient de prendre son premier coup et l'effet produit, à ma grande surprise, est libératoire. Voir... Enfin voir !

Depuis une dizaine d'années dirige avec Tatiana Vialle un atelier de formation d'acteurs dans le cadre d'Emergence

Fin septembre 2001, il fait encore très chaud à Vladivostok. Pas loin de l'hôtel "Versailles", au bord de la mer du Japon, une plage comme un terrain vague, quelques parasols en lambeaux. Dans la rue les filles sont grandes, fières de leurs longues jambes elles portent des mini-jupes, elles sont blondes, leurs traits asiatiques. C'est la rentrée des classes. Dans le port, des enfants sac au dos, sortent de grands bateaux de guerre échoués sur le flan transformés en appartements "penchés". Moins 30 en hiver, ils doivent se geler là-dedans.

J'ai rendez-vous dans un cirque avec le dernier dresseur d'ours polaires vivant (les autres se sont fait dévorer). Il me manque pour un trucage de "Jim, la nuit", le film que je réalise pour Arte, quelques plans assez précis d'un ours en colère.

L'homme est magnifique, un ukrainien très brun, la cinquantaine. Le cirque est en béton, délabré, c'est pourtant le grand cirque de la ville et ici on aime le cirque.

Sur la piste glacée par un compresseur hors d'âge les ours blancs, affublés de patins, glissent, font des figures. Une merveille. Autour, pour nous protéger, un grand filet a été installé avec les moyens du bord. Au fond, sur une barre récupérée là-bas, au port, on a tendu un tissu vaguement bleu (pour le trucage). Il faut faire vite, l'animal, une grande ourse de presque 3 mètres debout est dressé pour le patin, pas pour le cinéma. Derrière les mailles du filet je suis trop haut et trop loin, impossible de cadrer. Il faudrait que la bête me domine, que je sois avec elle, à ses pieds. Le dresseur accepte, il me propose d'installer la caméra au bord de la glace dans le passage réservé à l'ourse, entre sa cage et la piste. L'homme est au centre de la patinoire avec pour seule protection, une petite baguette. On fait entrer le monstre qui se précipite vers la glace en bousculant la caméra, nous enveloppant, au passage, mon assistante et moi, de son épaisse fourrure. Il faut tourner, la conscience du danger viendra plus tard. Alors se produit une chose étrange, impossible d'appuyer sur le déclencheur, je n'en ai plus envie. La situation est si forte, si décalée, si riche que les plans à tourner sont devenus dérisoires. Mon assistante déclenche pour moi.

Ce seront mes derniers plans de cinéma.

Le premier trouble a eu lieu 20 jours plus tôt, le 11. Nous tournons à bord d'un porte-container traçant vers le Nord. A la pause, dans le carré des officiers, un téléviseur diffuse des images distordues par la mauvaise réception, le commentaire est en islandais, entre deux parasites on croit reconnaître New York, une espèce de film catastrophe mal fichu, des plans trop longs qui se répètent. Il faut du temps, mais c'est la stupeur des marins islandais qui nous fait comprendre que New York s'effondre pour de vrai. Jamais aucune image ne serait plus puissante, plus mystérieuse et fictionnelle que celles-là.

Mon désir de filmer vient de prendre son premier coup et l'effet produit, à ma grande surprise, est libératoire. Voir... Enfin voir !


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